Le jour où… Les morts mettent en échec la contre-attaque allemande au Bois Brûlé.
Carte postale : champ de bataille du Bois d’Ailly après les combats
Debout les morts ! Ces mots prononcés par l’adjudant Jacques Péricard vont rapidement faire le « buzz » pour reprendre une expression contemporaine et le porteront à la notoriété.
Tandis que d’importantes attaques avaient lieu au Bois d’Ailly (voir la carte), au début d’avril 1915, le 95ème Régiment d’Infanterie fut chargé de faire une diversion au Bois Brûlé (voir la carte). Les 5, 6 et 8 avril, eurent lieu des combats acharnés pour la conquête d’une tranchée. Le 8, au matin, on aménageait la tranchée conquise. Les troupes d’attaque étaient relevées et installées en réserve, en seconde ligne. Soudain une violente contre-attaque allemande se produit et surprend les occupants, qui reculent à travers les boyaux quand l’adjudant Péricard, qui avait pris part à l’action de la veille, et qui était en réserve, groupe lui-même quelques volontaires et sa compagnie et se porte au-devant de l’ennemi. Le boyau est repris après un combat prolongé et terrible, au cours duquel Péricard, sentant ses hommes faiblir et ne voyant autour de lui que des morts et des blessés, s’écrie : « Debout les morts !» (Almanach Michelin)
À l’issue de cette action, Jacques Péricard sera nommé sous-lieutenant. Après-guerre, il sera l’auteur d’un monumental ouvrage, Verdun, qui relate tous les combats qui se sont déroulés dans cette zone et dans lequel il donne principalement la part belle aux récits de combattants. Au passage, le haut commandement et la hiérarchie n’y sont pas épargnés.
Voyons son propre récit des faits :
De notre tranchée à nous, en arrière, des hommes me contemplent avec des yeux d’épouvante, dans lesquels je lis : « Il va se faire tuer ! ». C’est vrai qu’abrités dans leur boyau de repli, les Boches redoublent d’efforts. Leurs grenades dégringolent et l’avalanche se rapproche avec rapidité. Je me retourne vers les cadavres étendus. Je pense : « Alors, leur sacrifice va être inutile ? Ce sera en vain qu’ils seront tombés ? Et les Boches vont revenir ? Et ils nous voleront nos morts ? » La colère me saisit. De mes gestes, de mes paroles exactes, je n’ai plus souvenance. Je sais seulement que j’ai crié à peu près ceci : « Oh là, debout ! ».
De nombreuses légendes ont couru sur la réalité de cette harangue Debout les morts ! Difficile de savoir la vérité un siècle plus tard.
Photo : Jacques Péricard
Malgré tout, il faut s’être rendu une fois dans sa vie à la clairière du Bois Brûlé pour appréhender la violence des combats. On y trouve une grande croix en bois en souvenir des événements. Juste derrière, on peut découvrir la ligne de front avec les deux lignes de tranchées à quelques mètres l’une de l’autre. La vision ne laisse pas indifférent et interpelle : comment pouvait-on faire la guerre dans de telles conditions ?
Détail du 3ème vitrail de l’église de Marbotte : Debout les morts !
Une dernière remarque… pourquoi Péricard a sorti cet appel du fin fond de ses tripes, dans un moment aussi critique ?
Une explication serait liée aux règles d’exercice pendant les grandes manœuvres, avant la guerre. Pour simuler les pertes, les arbitres hurlait par exemple : Tout ceux dont le nom commence par B, à terre ! , puis : Tout ceux dont le nom commence par D, couchez-vous ! À la fin de l’exercice, l’arbitre s’écriait : Debout les morts ! et tout le monde se relevait. C’est aussi par cette expression que les chambrées étaient réveillées le matin dans les casernes par le sous-officier de service. En tout état de cause, cette exhortation deviendra un des narratifs de la propagande française pendant tout le conflit et sera largement mise en avant.
Après la guerre, Jacques Péricard lancera l’almanach du combattant, mais il dérivera vers un nationalisme militant en devenant président des Croix-de-Feu, puis vice-président de la Légion française des combattants créée par le régime de Vichy. Il périra dans des conditions tragiques non élucidées au printemps 1944 et le maréchal Pétain, auquel il resta fidèle, assistera à ses obsèques.
Le jour où… Mort de Louis Pergaud
Photo : Louis Pergaud et ses hommes, extrait du film : réplique du petit Gibus tirée de L’os à moelle n°6 (1939) qui aurait pu s’appliquer à ce jour de la guerre de son « père »
Louis Pergaud, c’est le recueil de nouvelles De Goupil à Margot (Prix Goncourt 1910) mais surtout La guerre des boutons (1912), porté cinq fois à l’écran et dont la célébrité a été largement amplifiée par la version du début des années 60 d’Yves Robert (voir extrait, le petit Gibus). Écrivain de la ruralité profonde du début du siècle, le « père » du petit Gibus a pourtant un parcours « atypique » pour l’époque. Socialisant et anti-clérical, il a quitté son poste d’instituteur en Franche-Comté en butte à l’hostilité des villageois, en abandonnant son épouse également institutrice, pour s’installer à Paris où le rejoint sa maîtresse ! Il finit par enseigner de nouveau à Arcueil, puis à Maisons-Alfort, tout en ne cachant pas son pacifisme.
Ceci ne l’a pas empêché de faire son service militaire en 1902, à Belfort, au 35ème Régiment d’Infanterie. La mobilisation le retrouve, à 32 ans, sergent au 166ème Régiment de Verdun, non endivisionné et fournissant les troupes pour armer les forts et la défense de la forteresse.
Depuis le début de la guerre, le régiment assure la sécurité des approches de la région fortifiée, de sorte que Louis Pergaud combat au pied des côtes de Meuse pour le contrôle des villages de la Woëvre au nord des Éparges (voir la carte) depuis le mois de janvier. Dans la nuit du 7 avril, il part à l’assaut des positions ennemies à la tête de sa section mais se retrouve blessé, pris dans les barbelés entre les deux lignes.
À l’aube, il n’est pas parmi les rescapés ou les blessés en train d’être soignés. Il est donc considéré comme disparu et apparaît ainsi dans le JMO du régiment. Tout laisse supposer que, ramassé par des brancardiers allemands, il a été déposé dans un poste de secours et de regroupement dans les tranchées allemandes où il a été touché par les tirs d’artillerie français, trouvant ainsi la mort.
Son corps ne sera jamais retrouvé et il sera considéré comme « Mort pour la France » en 1921.
Détail émouvant, sa cantine, avec ses affaires, conservée intacte et complète par miracle, est exposée aujourd’hui au mémorial de la bataille de Verdun à Fleury.
Photo : la cantine de Louis Pergaud
En la contemplant, j’eus l’impression qu’il l’avait laissé telle quelle la veille et brusquement je songeai à ma propre cantine, celle qui nous suit dans toutes nos opérations, avec notre nom, notre grade, notre unité. Que serait-elle devenue si, par destin, j’avais connu le même sort que Louis Pergaud ? Le commissaire ou le chef administratif en aurait fait l’inventaire, comme j’ai eu moi-même à le faire faire… Le tout aurait été rendu à ma famille. Je me souviens de ce moment toujours terriblement pénible.
J’ai toujours celles de mon cousin Gaston qui ont survécu à deux conflits ! Revenons à Louis Pergaud ; qu’a-t-il pu penser, piégé comme une bête dans les barbelés en voyant approcher les Allemands ou au moment où il a entendu le sifflement des obus français qui allaient s’abattre sur lui ? Je pense à la phrase qu’il prête à un de ses héros enfants, parlant de ses parents : Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux !
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