Le jour où… Le jour d’après …
Photo : ceux qui ont survécu…
La guerre est finie… oui, mais pas pour tout le monde !
Il faudra, par exemple, attendre le 13 novembre, avec la convention de Belgrade, pour que Franchet d’Espèrey clarifie la situation dans les Balkans.
En octobre 1918, on a demandé des aviateurs volontaires pour combattre en Sibérie. Joseph Kessel, sous-lieutenant de 20 ans, est de ceux là. Il vient juste d’embarquer sur un paquebot à Brest pour rallier Vladivostok via les États-Unis, un périple qu’il racontera dans Les temps sauvages.
La situation aux marges des ex-empires centraux demeure explosive et la révolution bolchevique menace le monde occidental. Nombre de nos soldats et marins, dont certains se mutineront en Mer Noire, vont se retrouver aux prises avec des situations incroyables et ne rentreront au pays que des mois, voire une année, après la signature de l’armistice. C’est ce que raconte si bien Roger Vercel dans son roman Capitaine Conan, l’histoire d’un officier qui commande un prestigieux corps franc envoyé sur le front de l’Est, dans une forêt au bord du Danube, officiellement en mission de soutien à l’armée roumaine exsangue, mais toujours mobilisée en raison des menaces hongroises liées à la multitude de mouvements indépendantistes locaux et aux révolutionnaires.
Revenons en France. Que pense le soldat lorsque la guerre est finie ? Que, cette fois, elle est bien terminée, qu’il a vaincu la mort et qu’il va enfin pouvoir revoir les siens ? Revoir ses proches… lourde question ! Que va-t-il pouvoir leur raconter dans un monde qui n’aspire qu’à la paix et au bonheur ? Qui va écouter son trop plein de souffrances ? … et puis, de quoi va être fait son quotidien ? Il ne pourra plus râler contre son copain qui ronfle la nuit, ni contre celui qui a toujours un bon prétexte pour faire la corvée… Sait-il encore s’intéresser à autre chose ? … oui, que va-t-il se passer ?
Ces questions ont certainement hanté Gaston, au sein de sa demi-section de DCA, quelque part sur l’arrière du front. Il n’a pas encore 22 ans et 5 années d’horreurs derrière lui. Au moins, sa fidèle Léontine, avec laquelle il a eu le bonheur de se marier le 2 février, l’a-t-elle attendu ; néanmoins, l’adolescent apprenti tailleur est devenu un homme meurtri dans sa chair, touché dans son âme et ses pensées. Au fond de lui-même, mon cousin est fier du devoir accompli. Il s’est jeté dans la fournaise pour permettre à son pays de vivre en paix et la mission est remplie.
Lui aussi, que va-t-il pouvoir faire ? Comment va-t-il vivre ? Rester dans l’armée ? Le métier lui plaît, la mécanique de l’artillerie l’attire. Il pense à rempiler. Léontine n’y est pas opposée. Alors, contre toute attente, Gaston, engagé seulement pour la durée de la guerre, va renouveler son contrat en rejoignant le dépôt de son régiment, à Avord, en août 1919 !
Pendant 20 ans, poussé par son épouse, après avoir obtenu une pension de 10% d’invalidité, il va faire une carrière plus qu’honorable et deviendra sous-officier d’active. Suite à l’occupation de la Rhénanie, il stationnera dans les garnisons de l’est de la France, dont deux pour lesquelles je pourrais évoquer des souvenirs communs : Toul et Belfort.
Photo (10 avril 1945) : Gaston
Devenu officier en 1937, la seconde guerre mondiale le surprendra comme lieutenant. Il m’avouera son amertume d’avoir dû repartir pour le front : Avoir fait tout cela pour ça ! me confiera-t-il. Néanmoins, sans état d’âme, il mettra sur pied un dépôt d’artillerie dans la Marne, avant de vivre l’exode. Sa grande fierté sera d’avoir réussi à ramener tout son monde au sud de la Loire, sain et sauf, malgré sa déception d’avoir été obligé de sortir son pistolet pour réquisitionner une vache afin de nourrir sa troupe ! Fidèle à son chef de Verdun, il obéira d’abord aux ordres du Maréchal avant de ne plus « trouver ses affaires à son goût ».
Il décidera alors d’entrer en résistance où il mettra sur pied une batterie d’artillerie à partir des maquis, puis il participera aux derniers assauts en Allemagne et vivra une deuxième occupation de ce pays.
Je vous laisse découvrir Gaston sur une des deux photographies dont je dispose de lui, en date du 10 avril 1945, prise au moment où il se voit attribuer une nouvelle citation (voir le texte recopié par Léontine et envoyé à mon père), juste avant de repartir une nouvelle fois au front. Ne vous fiez pas à sa tenue un peu ringarde, concentrez-vous sur son petit sourire malicieux, toujours prêt à trouver une solution aux problèmes.
Après avoir fortement influencé mon père dans son choix de devenir officier, Gaston, veuf et sans enfant, tint à la fin de sa vie à me transmettre le flambeau. Lorsque je fus reçu à Saint-Cyr, il m’offrit son sabre d’officier et ses épaulettes de sous-lieutenant, symbole fort d’une transmission. Il avait souhaité également me donner le tableau de toutes ses décorations. Par décence, j’avais refusé, incapable, comme jeune officier en temps de paix, d’accepter un tel trophée.
Photo : les décorations de mon cousin Gaston
Le hasard, ou plutôt le destin, a voulu que, récemment, un arrière-petit-neveu de Gaston me remette ce tableau : ayant eu connaissance de ma démarche, il a estimé que j’étais le mieux à même de décrypter tout le prix de la souffrance et de la douleur derrière chacune des médailles.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, j’en suis devenu le dépositaire et que je l’offre à votre regard ; sobre et restreint, il doit inciter à l’humilité nos générations contemporaines à l’égard de nos propres décorations. Certes, nous n’avons pas démérité, mais les trois-quarts des rangées de nos placards ne sont souvent que des médailles commémoratives…
Au terme de l’écriture de cet ouvrage, je découvre que tout au long de ma carrière militaire, j’ai tenté de marcher sur les traces de mon cousin, au propre comme au figuré.
Pendant que je rédigeais ces lignes, j’ai senti en permanence sa présence bienveillante : c’était maintenant à mon tour, très humblement, de remplir le rôle de Gaston à travers l’évocation de ces 1561 jours qui influencèrent à jamais notre existence.
Puissions-nous, encore, avoir en nous la capacité et la volonté d’en tirer les leçons.
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bonjour mon ancien… tu m’as eu !!! je suis accroc !
merci encore de ce travail immense qui me régale et me plonge encore et toujours dans cette période si intense.
cet été , j’ai lu en simultané l’HEURE H de TEZENAS du M. et la biographie de FOCH d’Elizabeth GREENHALG, la milleure manière de voir global me semble t’il. Je me replonge dans l’ouvrage de BACH. juste poru comprendre les ressorts de cette communauté d’hommes et de femmes tous exceptionnels. je pense que notre beau pays ferait bien de lire tes ouvrages en ces périodes de confinement…
ph robin
Cette dernière page est émouvante. Merci Renaud d’avoir su rédiger une telle oeuvre qui m’a fait « voir » la guerre sous un autre jour.