Le jour où… La légende de la tranchée des baïonnettes.
Dessin : la légende de la tranchée des baïonnettes et la photo prise après-guerre
Dans la nuit du 10 au 11 juin, le 137ème Régiment d’Infanterie qui appartient à la même division que le régiment de mon cousin Gaston, mais à la brigade voisine, monte au front dans la zone de la ferme de Thiaumont (voir la carte) où les combats font rage. Ses bataillons vont y être engagés dans les conditions apocalyptiques que nous avons déjà décrites (voir 9 juin 1916).
Le combattant, pris dans un tourbillon de boue, de ferrailles, de cris et d’explosions, enveloppé de poussière, noyé par les trombes flasques d’eau mélangée à des restes humains et suffoqué par les gaz délétères, peut y perdre toute référence aussi bien du temps que de l’espace. Son cerveau saturé peut être accaparé par des visions, parfois des délires. De telles situations, parfois mystiques pour celui qui les subit, peuvent éclore des « légendes guerrières », comme nous l’avons constaté avec le célèbre Debout les morts ! de Péricard (voir 8 avril 1915 ).
La tranchée des baïonnettes peut être considérée comme appartenant à cette catégorie. Pendant deux jours, des hommes vont effectivement disparaître complétement happés et broyés par les explosions, engloutis dans les trous d’obus existants qui forment, lorsqu’ils se rejoignent, des semblants de tranchées. Pendant deux jours, le sous-lieutenant Lucien Polimann (voir biographie), prêtre d’origine meusienne, devenu commandant de compagnie du 137ème RI, combat dans ces conditions avant d’être fait prisonnier.
Carte postale après-guerre : reste d’arbre de la ferme de Thiaumont détruite et le 1er monument du 137ème RI
Carte postale : le premier monument de la tranchée des baïonnettes
L’histoire aurait pu en rester là… sauf qu’en 1919, l’ancien aumônier du régiment se rendit sur les lieux des combats et, à proximité du monument alors érigé, découvrit des baïonnettes pointant hors de terre qui furent regroupées. Les fouilles menées tout autour amenèrent l’exhumation des dépouilles de 21 fantassins du régiment, dont un lieutenant inconnu.
Peu de temps après, un richissime banquier américain George T. Rand, en visite sur les champs de bataille, fut ému par le site et fit un chèque de 500 000 francs pour construire un monument assez colossal.
Un emballement médiatique s’ensuivit qui déboucha sur la légende : la section aurait été surprise dans sa tranchée avant de monter à l’assaut et ensevelie debout par le bombardement (d’où les baïonnettes pointées vers le ciel). Ce mythe fut formellement démenti par de nombreux anciens combattants du 137ème RI, mais jamais réfuté par Polimann qui en dira : l’histoire était bien trop belle pour ne pas devenir une légende.
Cartes postales : le monument érigé par le « bienfaiteur » américain pour les morts de la tranchée des baïonnettes
Personnellement, je la déplore car, sans cela, subsisterait aujourd’hui sur les lieux un de ces sombres et modestes monuments à la mémoire des combattants, en accord avec leur héroïsme, et non pas cet horrible dôme en béton ressemblant plus à un stand de tir qu’à autre chose et qui, de surcroît, vieillit mal, bien plus mal que les forts autour de lui, tant soumis aux outrages des bombardements !
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